FINANCE ET SUPPLY CHAIN : ALLIÉS OU FRÈRES ENNEMIS ?
Cette année, j’ai repris des études en formation continue : le Master 2 Supply Chain Internationale de l’Université Paris-Dauphine.
Après chaque semaine de cours, je vous partage mes réflexions.
MASTER 2 SUPPLY CHAIN INTERNATIONALE - SEMAINE SEIZE
Un de nos professeurs, consultant par ailleurs, nous a informé qu’il donnait un cours d’initiation à la supply Chain en école de gestion. Étrangement, dans notre cursus, aucun cours d’initiation à la finance n’est prévu au programme.
Pourtant, quand je reprends la définition donnée par l’APICS, l’étude et la compréhension des flux financiers y apparaît bien.
The global network used to deliver products and services from raw materials to end customers through an engineered flow of information, physical distribution, and cash
Depuis le début de l’année, cours après cours, cette absence a commencé à m’interroger de plus en plus. Est-ce qu’un supply chain manager a besoin d’une culture “Finance” ? Quelles sont les relations entre la Supply Chain et la direction financière ? Pourquoi les formations Supply Chain accordent-elles si peu de place à l’étude des flux financiers ?
Quand je pose ces questions à des responsables supply mais aussi à des responsables financiers, la réponse est unanime : il existe un vrai déficit de connaissances des enjeux financiers dans la Supply Chain.
J’ai alors commencé à regarder en détail en quoi une bonne compréhension des mécanismes financiers pouvait être utile au supply chain manager. je vous livre quelques-unes de mes réflexions.
Réflexion 1 : Cash is king !
L’entreprise commence par dépenser avant de vendre et d’espérer dégager une marge. L'approvisionnement, la production et la distribution représentent des coûts qu’elle doit être en mesure de financer.
Si le cash n’est pas disponible à temps, les achats se font avec retard, pouvant entraîner des ruptures et donc du Chiffre d’affaires différé voir perdu. La direction financière a pour rôle de permettre ce financement en avance. À charge pour le supply chain manager de savoir expliquer ses besoins. La gestion des flux financiers est une stratégie d’approvisionnement à part entière. L’optimisation des coûts n’est pas suffisante, l’efficience des processus doit aussi être recherchée pour améliorer le cash flow : Lead Time Client; Time to Market; Approvisionnement.
Autre sujet finance d’importance pour le supply chain manager : les investissements. En ayant une bonne compréhension des politiques CAPEX/OPEX de l’entreprise, le supply chain manager peut mieux défendre ses projets devant la Direction Financière. Il doit s’appuyer sur un calcul solide de ROI (Return On Investment) mais aussi sur celui du PayBack du projet (délai de récupération de l’investissement).
La multiplication des offres par abonnement mais aussi l’environnement économique incertain ont profondément changé les critères de choix entre CAPEX et OPEX. Pour chaque projet, une étude détaillée des avantages et des inconvénients doit être menée conjointement par la Supply Chain et la Finance.
Enfin, le supply chain manager doit comprendre de manière fine les structures qui composent la chaîne de valeur depuis les fournisseurs jusqu’au client. La recherche de compromis avec les parties prenantes pour optimiser la performance globale passe par une compréhension de leur fonctionnement.
Business Unit challengée sur la marge et lié par des prix de cession; répartition de la valeur ajoutée entre les partenaires. Une bonne connaissance du fonctionnement des organisations et des flux financiers apporte une meilleure compréhension des réticences des uns et des autres lorsqu’il s’agit de mettre en place un projet d’optimisation globale.
Réflexion 2 : KPI financiers : d’une vision comptable à une vision flux
Pour embrasser pleinement cette nouvelle dimension, le manager doit parfaitement maîtriser les indicateurs de la direction financière. Le premier d’entre eux est certainement le BFR.
Le BFR (Besoin en Fonds de Roulement) correspond au décalage de trésorerie issu de l'activité courante de l'entreprise. Dans sa vision comptable, il correspond à la différence entre l’actif circulant et le passif circulant : encours moyens des créances clients et stocks moyens d’un côté; dettes fournisseurs de l’autre.
Ces trois composantes sont interdépendantes. Augmenter la dette fournisseurs ou diminuer les stocks moyens peut impacter la performance de la supply chain et donc la satisfaction client. Et sans une bonne satisfaction client, il sera très difficile de diminuer l’encours des créances clients.
Dans une conférence consacrée à ce sujet , Hervé Hillion, PDG-fondateur de SAY partners donnait plusieurs exemples parlant. A chaque fois, le besoin d’augmenter fortement les stocks posait le problème de la dégradation du BFR. Chaque situation nécessitait de faire une analyse fine des interdépendances entre les composantes du BFR pour minimiser sa dégradation
En adoptant une vision cycle du BFR (end-to-end), le supply chain manager est en mesure d’expliquer ses choix et d’aligner sa stratégie avec celle de la direction financière, du commerce et des achats.
Le S&OP est l’instance idéale pour mener ces réflexions et aboutir à des arbitrages cohérents. La simulation de scénarios permet d’évaluer les conséquences des décisions sur l’ensemble des processus. L’indicateur BFR mesure l’impact des choix sur la santé financière de l’entreprise.
Une fois de plus, on voit à quel point il est important pour la direction supply chain de s’approprier les indicateurs financiers de l’entreprise.
Réflexion 3 : vers un alignement Finance / Supply Chain
La digitalisation progressive de la supply chain renforce l’alignement entre la direction supply chain et la direction financière. Disposer d’informations consolidées sur les flux physiques et les flux financiers au même endroit apporte de l'efficacité.
Par exemple, gérer différents canaux de distribution à partir d’un même stock coûte plus cher en exploitation. Le supply chain manager doit bien mesurer la part de l’augmentation des charges liée à l’amélioration des services indépendamment de l’évolution de la performance des équipes en place. Il doit prendre en compte également l’impact financier généré par la gestion de l’activité à partir d’un seul entrepôt avec un seul stock.
Les arbitrages sont complexes et supposent d’avoir des indicateurs pertinents pour faire le lien entre la performance opérationnelle (pilotée par les supply chain managers) et ses conséquences financières (pilotée par les directeurs financiers). Les possibilités de segmentation offertes par la digitalisation sont des outils puissants.
“Tous les clients ne sont pas égaux.” indique Hervé Galon, Global Lead, Materials Planning & Logistics de DANA, “Quand on veut piloter son cash finement c’est une dimension qu’il faut prendre en compte”. En s’appuyant sur des indicateurs comme le Cost to Serve des clients, on peut moduler le service proposé.
Disposer de l’information valorisée au niveau le plus fin permet au supply chain manager d’intervenir très rapidement sur le pilotage du cash. Parfois, le pilotage du cash se fait sur des échéances très courtes. C’est vrai en cas de crise grave comme avec la pandémie de Covid-19. On le voit aussi chaque année au moment des bilans.
La digitalisation de la supply chain permet de répondre à la fois à la vision plus macro de la direction financière et à la vision souvent très détaillée de la direction supply chain.
“Le directeur financier est un allié” conclut Hervé Galon. “Si il y a deux fonctions, dans l’entreprise, qui ont intérêt à avoir les chiffres les plus justes, c’est la finance et la supply. Je crois beaucoup à cet alignement.”
Encore faut-il qu’ils parlent le même langage !
Réflexion 4 : pour une “Culture du Cash” dans la Supply Chain
Nous avons vu à quel point il était important que les supply chain managers aient une culture financière. Mais également que les financiers puissent échanger avec eux et s’intéresser aux conséquences financières de la supply chain.
Avec cette “Culture du Cash”, le supply chain manager comprend les enjeux financiers des décisions qu’il prend. On ne parle pas de comptabilité mais plutôt d’une maîtrise fine des flux financiers et de leur interdépendance avec les flux physiques.
Il s’agit pour le supply chain manager d’être capable de faire le lien entre les tâches effectuées dans les processus logistiques, l’évolution des coûts au regard des services rendus et la performance de l’organisation.
Le supply chain manager doit être formé à ces nouvelles compétences. Mais un simple cours d’initialisation, certes indispensable, ne suffit pas. Il faut aussi que dans chaque discipline (Schéma Directeur Logistique, Pilotage de la performance, Gestion des Stocks, Gestion de Production, Achats, Distribution) les professeurs expliquent les interdépendances entre les flux physiques et les flux financiers.
Merci de votre lecture.
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